Chapitre 28
— Essaye encore une fois ! s’écria l’Homme Oiseau. Mais arrête de penser avec ta tête à l’oiseau que tu veux appeler ! C’est dans ton cœur que ça doit se passer !
Richard écouta attentivement la traduction de Kahlan puis remit le sifflet entre ses lèvres. Quand il souffla, sans produire un son, comme toujours, ses joues se gonflèrent démesurément. L’Homme Oiseau, Kahlan et lui sondèrent la plaine. Appuyés à leurs lances plantées dans le sol, les chasseurs qui les accompagnaient, vaguement nerveux, tournèrent la tête en tous sens.
Comme venues de nulle part, des nuées d’étourneaux, de moineaux et de rouges-gorges piquèrent sur le petit groupe d’humains. Riant aux éclats – et ce n’était pas la première fois de la journée ! – les chasseurs baissèrent la tête pour les éviter. Il y en avait tant, une marée volante, que les hommes finirent par s’accroupir, toujours aussi hilares.
L’Homme Oiseau porta son propre sifflet à ses lèvres et souffla frénétiquement pour tenter de disperser l’armée de volatiles. Malgré ses efforts, il fallut un moment avant que les petits envahisseurs volants décident de retourner d’où ils venaient. Le silence retomba sur la plaine, n’étaient les rires hystériques des chasseurs, qui se roulaient sur le sol en se tenant les côtes.
Les poings sur les hanches, l’Homme Oiseau exhala un long soupir.
— J’abandonne… On essaye depuis ce matin, et tu ne fais pas de progrès… Richard Au Sang Chaud, tu es le plus mauvais aspirant Homme Oiseau du monde ! Un enfant apprend ça en trois coups de cuiller à pot, mais tu pourrais souffler jusqu’à la fin de ta vie sans aucun succès. C’est un cas désespéré ! La seule chose que tu parviens à leur communiquer, c’est : « Venez tous, il y a à manger ! »
— Je pensais à un faucon, croyez-moi. Chaque fois que vous m’avez proposé un oiseau, j’ai joué le jeu sans rechigner.
Quand Kahlan eut traduit, les chasseurs faillirent s’étrangler de rire. Richard grogna pour manifester son mécontentement – il détestait qu’on se moque de lui –, mais il n’obtint aucun résultat.
— Nous perdons notre temps, dit l’Homme Oiseau. Le conseil des devins se réunira bientôt… (Pour le consoler, il posa une main sur l’épaule du Sourcier.) Garde quand même le sifflet, mon ami. Il ne te sera jamais d’un grand secours, c’est vrai. Mais il te rappellera au moins que tu n’es pas meilleur que les autres dans tous les domaines… Dans celui-là, un nourrisson te damnerait le pion !
Sous les lazzis des chasseurs, Richard lâcha un gros soupir et se résigna à sa défaite. Sur le chemin du village, il approcha de Kahlan et lui souffla à l’oreille :
— J’ai vraiment fait de mon mieux, tu sais. Mais ça me dépasse…
— Je suis sûre que tu y as mis tout ton cœur, répondit Kahlan avant de lui prendre la main.
Bien que le ciel fut couvert, la journée avait été plus claire et lumineuse que d’habitude, remontant un peu le moral de la jeune femme. Mais son grand soutien restait l’attitude de Richard. Sans rien exiger d’elle, il lui avait laissé tout loisir de se remettre des événements de la nuit précédente. Une présence amicale et aucune pression…
Au réveil, elle s’était inquiétée de ce qu’il penserait d’elle. Serait-il blessé ? Furieux ? La détesterait-il ? Même après avoir passé la nuit dans ses bras, la poitrine nue, elle s’était détournée en rosissant au moment de reboutonner sa chemise. Personne, avait-elle dit, ne pouvait se vanter d’avoir un compagnon aussi patient que lui. Un jour, elle espérait lui rendre son amitié au centuple…
— C’est déjà fait, avait-il répondu. Tu as remis ta vie entre mes mains et juré de te sacrifier pour moi s’il le faut. Que demander de plus ?
Kahlan s’était retournée. Résistant à l’envie de l’embrasser, elle l’avait remercié d’être si tolérant avec elle.
— Cela dit, avait-il ajouté, je ne regarderai plus jamais les pommes avec les mêmes yeux…
Kahlan avait ri pour cacher son embarras et il s’était joint à son hilarité. Ce moment d’abandon innocent l’avait réconfortée… et en partie soulagée de son fardeau.
Richard s’arrêta soudain de marcher. Tirée de ses pensées, Kahlan s’immobilisa près de lui.
— Richard, que se passe-t-il ?
— Le soleil… dit le Sourcier, tendu. Un rayon a joué un instant sur mon visage.
La jeune femme se tourna vers l’ouest.
— Je ne vois que des nuages…
— Je n’ai pas rêvé… C’était très bref et c’est déjà fini…
— Tu crois que c’est important ?
— Je n’en sais rien… Mais depuis que Zedd les a invoqués, c’est la première fois qu’il y a une brèche dans les nuages. Bon, je m’inquiète peut-être pour pas grand-chose…
Ils reprirent leur chemin, guidés vers le village par les notes lancinantes des boldas.
Il faisait nuit quand ils y arrivèrent. Le banquet battait toujours son plein et il durerait jusqu’à la fin du conseil des devins. À part les enfants, qui dormaient debout ou s’étaient écroulés ici et là, les villageois semblaient en pleine forme.
Les Anciens attendaient sous leur dais – sans leurs épouses –, où ils avalaient consciencieusement un plat mitonné par des cuisinières formées pour les préparer au conseil des devins. Kahlan vit ces femmes leur servir à tous une boisson rouge vif qui ne ressemblait pas à celles qu’on leur avait proposées la veille. Les six vieillards avaient les yeux dans le vague, comme s’ils contemplaient un monde inaccessible au commun des mortels. Kahlan sentit un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale.
Les esprits de leurs ancêtres étaient en eux !
L’Homme Oiseau eut un bref dialogue avec les Anciens. Quand il parut satisfait de ce qu’ils lui répondaient, il leur fit signe de se lever. Tous partirent en file indienne vers la maison des esprits. Le son des tambours et des boldas devint obsédant, une agression sonore qui fit un peu trembler les bras de Kahlan.
— Le moment est venu, dit l’Homme Oiseau en approchant. Richard et moi allons vous laisser…
— Comment ça, « Richard et moi » ? Je viens aussi !
— Impossible !
— Pourquoi ?
— Seuls les hommes ont le droit d’assister au conseil des devins.
— Je suis le guide du Sourcier… et il a besoin que je traduise pour lui !
— Seuls les mâles ont le droit d’assister au conseil des devins, insista l’Homme Oiseau, mal à l’aise et à l’évidence incapable de trouver un meilleur argument.
— Eh bien, celui-là sera une exception !
Richard avait compris que quelque chose se passait – le ton de Kahlan était explicite – mais il décida de ne pas intervenir.
— Quand nous rencontrons les esprits, dit l’Homme Oiseau, de plus en plus gêné, il faut être comme eux…
— Je crois comprendre… Vous voulez dire qu’on ne peut pas porter de vêtements ?
— Et on doit avoir le corps couvert de boue…
— Eh bien, où est le problème ?
L’Homme Oiseau hésita un moment.
— Le Sourcier… Vous êtes sûre qu’il aimerait vous voir faire ça ? Il faudrait peut-être lui demander…
Kahlan soupira et se tourna vers Richard.
— Il faut que je t’explique quelque chose… Quand un Homme d’Adobe demande la réunion du conseil, il arrive que les esprits lui posent des questions par l’intermédiaire des Anciens, pour savoir si ses intentions sont nobles. Si les réponses semblent mensongères ou manquent à l’honneur, la punition peut être la mort. Infligée par les esprits, pas par les Anciens…
— N’oublie pas que j’ai mon épée…
— Non, tu ne l’auras pas ! Pour assister au conseil, tu devras imiter en tout point les Anciens. Pas de vêtements, aucune arme, et de la boue sur tout le corps ! Si je ne suis pas là pour traduire, tu risques d’être exécuté parce que tu n’auras pas compris une question. Alors, Rahl aura gagné. Donc, faut que je vienne. Pour ça, je devrai être nue l’Homme Oiseau est très embarrassé et il voudrait savoir ce que tu en penses. En secret, il espère que tu m’opposeras un refus.
Richard croisa les bras et la regarda dans les yeux.
— On dirait que tu es destinée à te retrouver nue, dans la maison des esprits…
Devant le sourire en coin de son compagnon, Kahlan eut du mal à ne pas éclater de rire. L’Homme d’Adobe les dévisagea tour à tour, l’air perdu.
— Richard, je suis sérieuse ! Et n’espère pas te rincer l’œil, parce qu’il n’y aura pas de lumière.
Le Sourcier redevint grave et se tourna vers l’Homme Oiseau.
— J’ai demandé une réunion du conseil. Il faut que Kahlan y assiste !
— Depuis votre arrivée, répondit l’Homme d’Adobe, vous me poussez au-delà de mes limites. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Allons-y !
Kahlan et Richard suivirent l’Homme Oiseau dans le dédale de passages du village. Sentant la nervosité de sa compagne, le Sourcier lui prit la main. De fait, la jeune femme n’était pas rassurée à l’idée de s’asseoir, nue comme un ver, au milieu de huit gaillards dans le même appareil. Mais elle ne pouvait pas reculer et saboter tous leurs efforts. Le temps pressait !
Elle se composa un masque d’Inquisitrice.
Un peu avant la maison des esprits, l’Homme Oiseau les fit entrer dans un petit bâtiment où attendaient les six Anciens, assis en tailleur sur le sol, le regard toujours aussi vide.
Kahlan sourit à Savidlin, qui ne réagit pas.
L’Homme Oiseau ramassa un petit banc et deux pots en céramique.
— Venez quand j’appellerai votre nom. En attendant, ne bougez pas d’ici.
Pendant qu’il sortait, Kahlan traduisit ses paroles à Richard.
Caldus fut le premier élu. Les autres Anciens suivirent, Savidlin en dernier. Il ne leur avait pas dit un mot et ne semblait pas s’être aperçu de leur présence. Ses yeux n’étaient plus vraiment les siens, mais ceux des esprits…
Kahlan et Richard patientèrent en silence dans la pièce obscure. Nerveuse, la jeune femme essaya en vain de ne pas penser au pétrin dans lequel elle s’était fourrée.
Sans son épée, Richard serait désarmé. Elle, nul ne pouvait la priver de son pouvoir. Donc, elle le protégerait. C’était l’autre raison secrète qui l’avait convaincue de se lancer dans l’aventure. Si les choses tournaient mal, elle mourrait à la place de Richard. C’était normal, et elle devait s’y préparer.
Richard se leva quand l’Homme Oiseau cria son nom.
— Espérons que ça marchera… dit-il. Sinon, nous serons très très mal… Je suis content de t’avoir à mes côtés.
Une façon délicate de lui dire de ne pas relâcher sa vigilance…
— Richard, n’oublie pas que nous appartenons à leur peuple. Ils feront de leur mieux pour nous aider.
Quelques minutes plus tard, la Mère Inquisitrice sortit à son tour. Assis sur le petit banc, contre un mur de la maison des esprits, l’Homme Oiseau était nu, le corps couvert de symboles gravés dans la boue, ses longs cheveux gris enduits de la même substance.
Perchées sur un muret, des poules observaient la scène. Aux pieds du chasseur debout près de l’Homme Oiseau, Kahlan remarqua une pile de peaux de coyote, les vêtements de Richard, et son épée…
— Déshabillez-vous ! dit l’Homme Oiseau.
— Que fait-il ici ? demanda Kahlan en désignant le chasseur.
— Il doit s’occuper des habits… Il les déposera sous l’abri des Anciens, pour que les nôtres sachent que le conseil des devins s’est réuni. Un peu avant l’aube, il les rapportera ici, pour signifier que la réunion touche à sa fin.
— Bien… Dites-lui de se retourner.
L’Homme Oiseau s’exécuta et le chasseur obéit. Kahlan ouvrit la boucle de sa ceinture, puis s’immobilisa.
— Mon enfant, ce soir, tu n’es pas une femme, mais un membre du Peuple d’Adobe. Moi, je ne suis pas un homme, juste un guide spirituel.
L’Inquisitrice se dévêtit et attendit, frissonnant dans l’air mordant de la nuit. L’Homme Oiseau prit une grosse poignée de boue blanche dans un des pots, tendit un bras… et se pétrifia. Malgré ses belles déclarations, il ne se sentait pas à l’aise. Entre regarder et toucher, il y avait une grande différence…
Kahlan lui prit la main, la plaqua sur son ventre et sursauta au contact de la boue glaciale.
— Allez-y ! ordonna-t-elle.
Quand ce fut fini, ils entrèrent dans la maison des esprits. L’Homme Oiseau s’assit au milieu des Anciens, et Kahlan prit place près de Richard, en face de lui. Le visage du Sourcier n’était plus qu’un masque zébré de lignes blanches et noires, une apparence qu’ils avaient tous adoptée pour se présenter devant les esprits. Les crânes d’habitude rangés sur une étagère étaient disposés au centre du cercle de devins. Le petit feu qui brûlait dans la cheminée dégageait une odeur étrangement acre. Le regard de plus en plus absent, les Anciens incantaient dans un antique langage que l’Inquisitrice ne connaissait pas.
Quand l’Homme Oiseau leva la tête, la porte se ferma toute seule.
— À partir de maintenant, et jusqu’à la fin, à l’aube, nul ne pourra entrer ou sortir d’ici. Les esprits défendent cette porte…
Kahlan regarda autour d’elle, ne vit rien et frissonna de plus belle.
L’Homme Oiseau prit un panier d’osier, derrière lui, en sortit une grenouille et le passa à l’Ancien assis à côté de lui. Tous saisirent un petit batracien et entreprirent de frotter son dos contre leur poitrine.
Quand Kahlan reçut le panier, elle leva les yeux vers l’Homme d’Adobe.
— Pourquoi devons-nous faire ça ?
— Ce sont des grenouilles-esprits rouges, très difficiles à trouver. Leur dos sécrète une substance qui permet d’oublier ce monde et de voir les esprits.
— Honorable parmi les honorables, j’appartiens à votre peuple, mais je reste une Inquisitrice. Mon pouvoir doit être sans cesse contenu. Si j’oublie ce monde, comme vous dites, il risque de se déchaîner…
— Il est trop tard pour reculer, car les esprits sont avec nous. Ils vous ont vue, le corps couvert de symboles qui les incitent à ouvrir les yeux. Partir vous est impossible. Et si vous restez en étant incapable de les voir, ils vous tueront pour voler votre âme. Je comprends le problème, mais je n’y peux rien. Essayez de contenir votre pouvoir. Si vous échouez, l’un de nous périra. C’est le prix qu’il faut accepter de payer. Mais si vous désirez mourir, alors, délaissez la grenouille. Pour vaincre Darken Rahl la prendre est indispensable !
Kahlan soutint un moment le regard de l’Homme Oiseau. Puis elle saisit la grenouille – qui gigota pour se dégager et transmit le panier à Richard en lui expliquant ce qu’il devait faire.
Frémissant de dégoût, elle plaqua le dos glacé du batracien sur sa peau, entre ses seins, où il n’y avait pas de symboles, et lui fit décrire de petits cercles, à l’exemple des Anciens. Sa peau picota au contact de la substance et la sensation se diffusa dans tout son corps. Le son pourtant lointain des tambours et des boldas emplit ses oreilles, soudain si fort qu’elle crut que sa tête allait exploser. Alors que son corps tremblait au rythme de la musique, elle saisit son pouvoir dans un étau mental, le serra très fort et se concentra pour augmenter son contrôle. Espérant que cela suffirait, elle se laissa aspirer dans d’étranges limbes.
Tous les participants se prirent la main. Devant les yeux de Kahlan, les murs commencèrent à onduler. Comme des remous dans une mare, sa conscience se dilua, flotta à la dérive, se brouilla et… s’envola. Elle commença à tourner en rond avec les autres, partie intégrale d’une roue dont le moyeu était les crânes posés au centre du cercle. De ces reliques jaillit une lumière qui dansa sur les visages des officiants. Bientôt, tous furent plongés dans un néant étrangement amical. Des colonnes de lumière, au centre du cercle, tournaient de plus en plus vite avec eux.
Partout, des silhouettes apparurent. Glacée de terreur, Kahlan les identifia…
Des ombres !
La gorge nouée au point de ne plus pouvoir émettre un son, la jeune femme serra la main de Richard. Il fallait le protéger, c’était sa mission ! Elle tenta de se lever pour s’interposer entre les entités et le Sourcier, mais son corps refusa de lui obéir. Alors, elle s’aperçut que les mains de plusieurs ombres la maintenaient en place. Paniquée, elle tenta de se dégager. Des idées folles lui traversèrent l’esprit. Les ombres l’avaient-elles déjà tuée ? Était-elle morte ? Devenue à son tour un esprit ? À jamais incapable de bouger ?
Les ombres la regardaient… En principe, ces entités n’avaient pas de visage. Et surtout, elles ne ressemblaient pas à des Hommes d’Adobe…
Ce n’étaient pas des ombres, mais les esprits des ancêtres de son nouveau peuple. Kahlan inspira à fond pour recouvrer son calme.
— Qui a demandé cette réunion du conseil des devins ?
Tous les esprits parlaient en même temps d’une voix profonde, catégorique et immensément… morte… qui sortait des lèvres de l’Homme Oiseau.
— Qui a demandé cette réunion ? répétèrent-ils.
— L’homme assis à côté de moi, répondit Kahlan. Richard Au Sang Chaud.
Les esprits flottèrent entre les Anciens et se rassemblèrent au centre de la pièce.
— Lâchez-lui les mains !
Kahlan et Savidlin obéirent. Les esprits tourbillonnèrent au milieu du cercle. Sans crier gare, en file indienne, ils traversèrent le corps du Sourcier.
Il renversa la tête en arrière et hurla de douleur.
Kahlan bondit sur ses pieds. Tous les esprits flottaient derrière le jeune homme. Les Anciens et l’Homme Oiseau avaient fermé les yeux…
— Richard !
— Tout va bien, tout va bien… souffla le Sourcier.
Mais le ton de sa voix démentait ses propos. Il souffrait atrocement.
Les esprits firent le tour du cercle et chacun s’immobilisa derrière un Ancien. Puis ils s’introduisirent dans leurs corps, pure pensée pour un instant unie à la chair. Les contours des vénérables fluctuèrent, comme s’ils n’étaient plus tout à fait de ce monde. Au même instant, tous ouvrirent les yeux.
— Pourquoi nous as-tu appelés ? demandèrent-ils par la bouche de l’Homme Oiseau.
Sans quitter le vieux sage du regard, Kahlan souffla à Richard :
— Ils veulent savoir pourquoi tu as convoqué le conseil…
Mal remis de son contact avec les entités, Richard prit quelques profondes inspirations.
— Je dois trouver un artefact magique avant Darken Rahl. Pour qu’il ne puisse pas l’utiliser…
Kahlan traduisit. Les esprits répondirent par la bouche d’un autre Ancien.
— Combien d’hommes as-tu tués ? demanda Savidlin d’une voix qui n’était plus la sienne.
— Deux, dit Richard sans aucune hésitation.
— Pourquoi ? lança Hajanlet.
— Pour les empêcher de m’abattre…
— Dans les deux cas ?
— Le premier, j’ai agi pour me défendre. Le second, c’était pour protéger une amie.
— Protéger une amie te donne-t-il le droit de tuer ? dirent les esprits par l’intermédiaire d’Arbrin.
— Oui.
— Et si cet homme avait voulu éliminer ton amie pour préserver la vie d’un de ses amis ?
— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire…
— C’est pourtant simple… Selon toi, on est autorisé à tuer pour défendre un être cher. Si cet homme voulait protéger quelqu’un, il avait le droit de s’en prendre à ton amie. Son acte étant justifié, le tien ne le serait plus, n’est-ce pas ?
— Il n’existe pas de réponse à toutes les questions…
— De réponses qui t’arrangent, en tout cas !
— C’est possible…
Au ton de sa voix, Kahlan comprit que Richard perdait patience.
— As-tu pris plaisir à tuer cet homme ?
— Lequel ?
— Le premier.
— Non.
— Et le deuxième ?
— Quel est le sens de cette question ? demanda Richard entre ses dents serrées.
— Chaque question est posée pour une raison bien particulière…
— Et parfois, la raison n’a aucun rapport avec la question ?
— Réponds-nous !
— Pas avant de savoir pourquoi vous voulez savoir Ça.
— Tu es venu nous interroger. T’avons-nous demandé pourquoi ?
— On dirait bien que c’est ce que vous faites, oui…
— Réponds ! Sinon, tu n’obtiendras rien de nous.
— Si j’obéis, me fournirez-vous les informations que je cherche ?
— Nous ne sommes pas là pour marchander avec toi. On nous a appelés ! Réponds si tu ne veux pas que ce conseil s’arrête…
— Oui, dit enfin Richard. J’ai pris plaisir à le tuer à cause de la magie de l’Épée de Vérité. Ce devait être ainsi. Si j’avais commis cet acte sans l’épée, je n’aurais éprouvé aucune joie.
— Tu réponds à côté de la question !
— Pardon ?
— « Si » n’a aucun sens ! Et « je n’aurais » pas davantage ! De plus, tu nous as donné deux raisons à ce meurtre : défendre une amie et y prendre plaisir. Laquelle est la bonne ?
— Les deux. J’ai tué pour défendre une amie et j’ai aimé ça à cause de l’épée.
— As-tu pensé que ton amie n’avait peut-être pas besoin de protection ? Et si tu avais mal jugé la situation ? Imagine que la vie de cette personne n’ait pas été en danger ?
Mal à l’aise, Kahlan hésita un peu avant de traduire.
— Pour moi, répondit Richard, l’acte est moins important que l’intention. Je pensais sincèrement que mon amie était en danger de mort, donc je me sentais le droit de tuer pour la défendre. Il fallait agir vite, car la moindre hésitation pouvait lui être fatale.
» Si vous pensez que j’ai eu tort, ou que ma victime était dans son droit, annulant le mien, c’est un sujet de désaccord entre nous. Certains problèmes n’ont aucune solution évidente. Parfois, on n’a même pas le temps d’y réfléchir. Mon cœur m’a poussé à intervenir. Naguère, un homme très sage m’a dit que tous les assassins pensaient avoir une bonne raison. Je tuerai sans hésiter pour me sauver, épargner un ami ou défendre un innocent. Si vous jugez que je me trompe, dites-le tout de suite, que nous en finissions au plus vite. Ainsi, je pourrai aller chercher ailleurs les réponses qu’il me faut.
— Comme nous l’avons déjà souligné, nous ne sommes pas ici pour marchander. Pour toi, l’acte est moins important que l’intention. As-tu voulu tuer quelqu’un d’autre, te ravisant ensuite ?
Kahlan frissonna, comme si les voix des esprits, telles des flammes, lui brûlaient la peau.
— Vous n’avez pas vraiment compris mes paroles… J’ai tué parce que je pensais devoir le faire. Cet homme voulait exécuter mon amie, donc je devais intervenir. Ça ne signifie pas que mes intentions soient toujours équivalentes à mes actes. La liste des personnes que j’ai eu envie de tuer, sans le faire, est sûrement très longue…
— Et pourquoi t’être abstenu ?
— Il y a une multitude de raisons. Dans certains cas, c’était uniquement un jeu, une sorte de fantasme pour atténuer l’impact d’une injustice. Parfois, bien que me sentant autorisé à agir, j’ai pu m’en sortir sans prendre une vie. Enfin, il est arrivé que je ne tue pas pour une raison inconnue…
— Tu veux parler des cinq Anciens ?
— Oui.
— Mais tu désirais les exécuter ?
Richard ne répondit pas.
— Tu avais l’intention de les abattre, n’est-ce pas ?
— Dans mon cœur, oui. Et le savoir me hante presque autant que si je l’avais fait…
— Alors, il semble que nous n’ayons pas si mal compris que ça tes propos…
Kahlan vit des larmes perler aux paupières de Richard.
— Pourquoi me torturez-vous avec ces questions ?
— Pour quelles raisons veux-tu l’artefact ?
— Il faut arrêter Darken Rahl !
— Comment cet artefact peut-il s’opposer à lui ?
Richard se pencha un peu en arrière, les yeux écarquillés. Il venait de comprendre ! Une larme coula lentement sur sa joue.
— Si je l’empêche de s’approprier cet objet, souffla-t-il, Rahl mourra. Je l’aurai assassiné d’une manière indirecte…
— Ainsi, tu es venu nous demander de t’aider à tuer quelqu’un ? dirent les esprits d’une voix plus profonde que jamais.
Richard hocha la tête.
— Saisis-tu maintenant le sens de nos questions ? Tu entends faire de nous les complices d’un meurtre. Est-il anormal de chercher à savoir qui est l’homme que nous sommes censés aider à en abattre un autre ?
— Ça me paraît logique, admit Richard, le front ruisselant de sueur.
Accablé, il ferma les yeux.
— Pourquoi veux-tu la mort de Darken Rahl ?
— Mes motivations sont nombreuses…
— Pourquoi veux-tu la mort de Darken Rahl ?
— Il a torturé et tué mon père ! Beaucoup d’autres innocents ont connu le même sort… Et si je ne l’abats pas, c’est lui qui me tuera. Alors, la liste de ses victimes s’allongera à l’infini. Il n’y a qu’un moyen de l’arrêter, car il est sourd à toute négociation. Ma seule option est de lui prendre la vie.
— Réfléchis bien à notre prochaine question. Si tu ne nous dis pas la vérité, ce conseil sera terminé…
Richard hocha la tête.
— Si tu devais citer une seule raison de tuer Darken Rahl, laquelle choisirais-tu ? Laquelle primerait à tes yeux ?
— Si je ne parviens pas à l’abattre, répondit Richard, des larmes ruisselant sur les joues, il assassinera Kahlan !
Sonnée comme si elle venait de recevoir un coup de poing dans le ventre, l’Inquisitrice dut faire un effort de volonté pour traduire ces mots. Dans un lourd silence, Richard resta assis immobile, l’âme aussi nue que le corps.
Kahlan détestait les esprits pour ce qu’ils venaient de faire à son ami. Mais ce qu’elle lui infligeait valait-il beaucoup mieux ? Shar avait eu raison de la prévenir…
— Si Kahlan n’était pas impliquée, désirerais-tu encore la mort de cet homme ?
— Oui. Vous avez voulu connaître ma principale motivation, et je n’ai pas triché…
— Quel artefact cherches-tu ? demandèrent soudain les esprits.
— Dois-je comprendre que je vous ai convaincus de mon bon droit ?
— Non. Pour des raisons qui ne te regardent pas, nous avons décidé d’accéder à ta demande. Si c’est en notre pouvoir. Quel artefact cherches-tu ?
— Une des trois boîtes d’Orden.
Dès que Kahlan eut traduit, les esprits hurlèrent de douleur.
— Nous ne sommes pas autorisés à te répondre. Les boîtes d’Orden sont dans le jeu. Ce conseil est terminé !
Les Anciens baissèrent les paupières.
Richard se leva d’un bond.
— Vous laisserez Rahl massacrer tant de gens, alors que vous pourriez l’en empêcher ?
— Oui.
— Y compris vos descendants ? La chair de votre chair, le sang de votre sang ? Pour les vôtres, vous n’êtes pas des esprits bienveillants, mais des traîtres !
— C’est faux !
— Alors, répondez-moi !
— Impossible…
— S’il vous plaît, ne nous abandonnez pas ! Laissez-moi poser une autre question !
— Il nous est interdit de révéler où sont les boîtes d’Orden. Réfléchis bien à ce que tu veux demander…
Richard se rassit et se frotta les yeux du bout des doigts. Le corps couvert de symboles, il ressemblait plus à une créature sauvage qu’à un homme…
Il se prit la tête à deux mains et réfléchit.
Enfin, il releva les yeux.
— Vous ne pouvez pas me dire où sont les boîtes… Y a-t-il d’autres restrictions ?
— Oui.
— Combien de boîtes Rahl a-t-il en sa possession ?
— Deux…
— Vous venez de me révéler où sont deux artefacts, dit Richard. Je vous rappelle que c’est interdit. Ou est-ce simplement une question de nuance sur la palette de vos intentions ?
Les esprits ne relevèrent pas l’ironie.
— Cette information n’était pas secrète. Ta question ?
Richard se pencha en avant comme un chien qui renifle une piste.
— Pouvez-vous me dire qui sait où est la troisième boîte ?
Kahlan se douta que le Sourcier connaissait la réponse avant d’avoir posé la question. Son art consommé de revenir par la fenêtre quand on l’avait expulsé par la porte !
— Nous savons qui détient la boîte et nous pourrions te révéler les noms de ceux qui gravitent autour de cette personne. Mais cela reviendrait à te dire où est l’artefact, et ça nous est interdit.
— Alors, donnez-moi le nom de quelqu’un, à part Rahl, qui ne possède pas la boîte, qui ne gravite pas autour d’elle, mais qui sait où elle est…
— Une femme correspond à cette définition. Si nous te communiquons son nom, ça ne te conduira pas directement à l’artefact, mais à elle. Cela nous est permis, car ce sera toi, pas nous, qui devras lui arracher cette information.
— Alors, voilà ma question : qui est cette femme ?
Kahlan ne traduisit pas la réponse des esprits. Décomposée, elle baissa la tête tandis que les Anciens, tout aussi sonnés, murmuraient entre eux.
— Richard, nous sommes des morts en sursis, souffla la jeune femme.
— Pourquoi ? De qui s’agit-il ?
— Une voyante nommée Shota…
— Tu sais où la trouver ?
— Dans l’Allonge d’Agaden, répondit Kahlan. (L’air terrifié, elle prononçait ce nom comme s’il avait un goût de poison.) Même un sorcier n’oserait pas s’y aventurer !
Richard vit la terreur inscrite sur le visage de sa compagne. Tournant la tête, il constata que les Anciens continuaient à trembler…
— Pourtant, déclara-t-il, nous allons y aller, trouver Shota et découvrir où est la boîte.
— Nous espérons que le sort te sera clément, dirent les esprits par la bouche de l’Homme Oiseau. La vie de nos descendants dépend de toi.
— Merci de votre aide, honorables ancêtres. Je ferai de mon mieux pour en finir avec Rahl et sauver notre peuple.
— Tu devras utiliser ton cerveau, Sourcier. Darken Rahl est très intelligent. Si tu l’affrontes sur son terrain, tu perdras. N’oublie pas que rien ne sera facile. Tu devras souffrir, comme notre peuple et bien d’autres, avant même d’avoir une chance de vaincre. Et pour finir, tu échoueras probablement. Écoute nos avertissements, Richard Au Sang Chaud.
— Je m’en souviendrai. Et je jure de lutter jusqu’à mon dernier souffle.
— Ta détermination sera immédiatement mise à l’épreuve. Car nous pouvons te dire autre chose : Darken Rahl est là et il te cherche.
Kahlan traduisit en se levant. Richard l’imita aussitôt.
— Quoi ! Il serait ici ? Que fait-il ?
— Sur la place du village, il massacre les nôtres…
Alors que la peur paralysait Kahlan, le Sourcier fit un pas en avant.
— Je dois sortir ! Avec mon épée, je défendrai les villageois.
— Si c’est ce que tu veux… Mais tu dois d’abord nous écouter. Assieds-toi !
Les deux jeunes gens obéirent. Voyant des larmes dans les yeux de son amie, Richard lui prit la main.
— Dépêchez-vous de parler ! grogna-t-il.
— Darken Rahl est ici pour toi et ton épée ne peut pas le tuer. Ce soir, le rapport de force est en sa faveur. Si tu sors, il t’abattra. Tu n’auras pas une chance. Pour vaincre, tu devras inverser le rapport de force, et c’est impossible aujourd’hui. Les malheureux qu’il attaque périront, que tu voles à leur secours ou pas. Si tu te bats, tu perdras la vie et Rahl fera beaucoup d’autres victimes. Pour triompher, il te faut avoir le courage d’abandonner ces hommes et ces femmes à leur destin. Préserve-toi pour être en mesure de lutter plus tard. Et supporte le fardeau qui pèsera sur ta conscience. Écoute ton cerveau, pas les appels de l’épée, et tu conserveras une chance de gagner.
— Mais il faudra que je sorte à un moment ou à un autre !
— Darken Rahl est le maître d’œuvre de bien des horreurs. Il doit jongler avec beaucoup d’éléments, et son temps est précieux. Il n’attendra pas toute la nuit. Non sans raison, il est sûr de pouvoir t’écraser quand il le voudra. Te guetter ici serait du gaspillage. Il s’en ira bientôt, concentré sur d’autres sombres projets. Et il s’occupera de toi plus tard…
» Les symboles dessinés sur ton corps nous ont permis de te voir. À cause d’eux, Rahl, lui, en sera incapable. Sauf si tu dégaines ton épée. Dans ce cas, il te repérera et il t’aura à sa merci. Tant que les symboles ne seront pas effacés – et que ton arme restera au fourreau— Rahl ne réussira pas à te trouver sur le territoire du Peuple d’Adobe.
— Mais je ne peux pas rester ici !
— C’est vrai, tu devras partir pour le combattre. Dès que tu quitteras nos terres, les symboles perdront leur pouvoir et il te verra de nouveau.
La respiration de Richard s’accéléra. Voyant ses mains trembler, Kahlan comprit qu’il bouillait de passer outre ces avertissements pour courir au combat.
— À toi de décider, conclurent les esprits. Attends ici pendant qu’il massacre les nôtres. Quand il sera parti, tu iras chercher la boîte et c’est lui qui mourra. Tu peux aussi sortir et te faire étriper pour rien.
Richard serra les poings et ferma les yeux.
— J’attendrai… souffla-t-il d’une voix à peine audible.
Kahlan lui jeta les bras autour du cou et l’attira vers elle. Alors qu’ils éclataient en sanglots, le cercle d’Anciens recommença à tourner.
Quand l’Homme Oiseau les secoua pour les réveiller, la jeune femme constata que ce « tourbillon » était son dernier souvenir de la nuit. Avec l’impression d’émerger d’un cauchemar, elle se souvint du massacre des Hommes d’Adobe, dehors, et de la révélation des esprits : pour trouver la boîte, ils devaient s’enfoncer dans l’Allonge d’Agaden et se frotter à Shota. Cette seule idée la rendait malade de peur.
Les Anciens étaient toujours là. L’air sinistre, ils aidèrent les deux jeunes gens à se relever. Quand des larmes perlèrent à ses paupières, Kahlan les força à refluer.
L’Homme Oiseau ouvrit la porte. Dehors, l’air était glacial sous un ciel clair piqueté d’étoiles.
Tous les nuages avaient disparu, y compris l’espion de Darken Rahl.
L’aube se lèverait dans moins d’une heure ; à l’est, l’horizon se colorait déjà de pourpre. Très solennel, un chasseur leur tendit leurs vêtements et l’épée du Sourcier. Ils s’habillèrent en silence et sortirent.
Une phalange de chasseurs et d’archers, beaucoup couverts de sang, entourait la maison des esprits.
— Qu’on me dise ce qui est arrivé ! ordonna Richard.
Un homme armé d’une lance vint se camper devant lui. Kahlan approcha pour traduire.
— Le démon rouge et son cavalier sont descendus du ciel ! cracha le guerrier, fou de rage. C’était toi qu’ils cherchaient. (Il leva sa lance et la braqua sur la poitrine du Sourcier. L’Homme Oiseau avança, saisit la hampe de l’arme et l’écarta de sa cible.) Fou de rage d’avoir seulement trouvé tes habits, l’homme s’en est pris à nous. Et il n’a pas épargné les enfants ! Nos lances et nos flèches ne lui faisaient rien et nos mains étaient impuissantes. Ceux qui ont essayé de le toucher furent carbonisés par des flammes magiques. Quand il a vu nos feux de camp, la fureur de ce bourreau n’a plus eu de limites. Il les a tous fait s’éteindre. Après être remonté sur le démon rouge, il a dit qu’il reviendrait égorger tous nos enfants si nous ne renoncions pas au feu. Puis il a fait voler Siddin dans les airs par magie et l’a pris sous son bras. Un cadeau pour un ami ! a-t-il lancé avant de s’envoler. Et toi, Richard Au Sang Chaud, où étais-tu pendant qu’on nous massacrait ?
Savidlin ne parvint pas à retenir ses larmes. Kahlan porta une main à sa poitrine, comme si on venait de lui arracher le cœur. Elle savait à qui était destiné le « cadeau ».
L’homme à la lance cracha au visage de Richard. Savidlin voulut intervenir, mais le jeune homme l’en empêcha.
— Les esprits de nos ancêtres ont parlée dit le père de Siddin. Je sais que Richard n’est pas responsable de ça…
Kahlan passa un bras autour des épaules musclées de l’Homme d’Adobe.
— Ne perds pas espoir, ami. Nous avons déjà sauvé ton fils alors que tout semblait perdu. Crois-moi, nous recommencerons.
Savidlin hocha bravement la tête. Quand Kahlan se fut écartée de lui, Richard voulut savoir ce qu’elle lui avait dit.
— Un mensonge, répondit-elle. Pour apaiser son chagrin.
— Tu as bien fait…, souffla le Sourcier avant de se tourner vers l’homme à la lance. Montre-moi les cadavres des victimes !
— Pourquoi ?
— Ainsi, je n’oublierai jamais pour quelle raison je veux tuer leur bourreau.
L’homme foudroya les Anciens du regard, puis les conduisit au centre du village. Kahlan se composa un masque d’Inquisitrice – une défense contre les horreurs qui l’attendaient. Elle avait vu ça trop souvent, dans tant d’endroits différents…
Comme elle s’y attendait, la scène ressemblait à celles qui la hantaient toujours. Devant un mur, hâtivement empilés, gisaient des cadavres d’enfants déchiquetés et des corps calcinés d’hommes et de femmes auxquels il manquait parfois un membre ou la tête. La nièce de l’Homme Oiseau était du nombre…
Richard se fraya un chemin parmi les villageois en pleurs et vint se camper devant les suppliciés.
Le calme absolu dans l’œil du cyclone, pensa Kahlan. Ou peut-être, celui de l’éclair sur le point de frapper.
— Voilà ce que tu nous as apporté ! cria le guerrier à la lance. C’est ta faute !
Autour d’eux, beaucoup d’Hommes et de Femmes d’Adobe approuvèrent en silence.
— Si cela peut te soulager, dit Richard à son accusateur, fais-moi porter le blâme. Moi, je préfère m’en prendre au monstre qui a du sang sur les mains. (Il se tourna vers l’Homme Oiseau et les Anciens.) Jusqu’à ce que tout ça soit fini, n’allumez plus de feu. S’entêter coûterait la vie à d’autres malheureux… Mes amis, je jure de punir le coupable, ou de mourir en essayant. Merci de m’avoir aidé. Merci à vous tous.
Quand il regarda Kahlan, elle lut dans ses yeux une colère qui dépassait tout ce qu’elle avait vu chez lui jusque-là. Pour l’éprouver, il fallait avoir été confronté à un charnier comme celui-là…
— Allons chercher cette voyante ! dit-il, les dents serrées.
Il n’y avait pas d’autre solution. Hélas, Kahlan en savait long sur Shota.
Ils allaient au-devant de leur mort !
Autant aller demander à Darken Rahl où était cachée la troisième boîte…
Kahlan approcha de l’Homme Oiseau et lui jeta les bras autour du cou.
— Ne m’oubliez pas… murmura-t-elle.
Quand ils se furent écartés l’un de l’autre, l’Homme d’Adobe balaya l’assistance du regard.
— Notre frère et notre sœur auront besoin d’une escorte pour atteindre en sécurité les limites de notre territoire…
Savidlin se porta volontaire sans hésiter. Tout aussi résolus, une dizaine de ses meilleurs chasseurs lui emboîtèrent le pas.